Voici un patronyme que bien des Moulinois ont dû entendre. Famille de la moyenne bourgeoisie moulinoise, on la voit dès le 15ième siècle autant que les actes nous en prouve l'existence. Au 18ième siècle, les mariages des filles Alloury sont fréquents dans le petit monde bourgeois de Moulins-Engilbert avec les Sallonnyer, les Ravary, les Duruisseaux, les Guilliers, les Lemoine, les Marotte, les Robert, les Pougault, les Follereau, les Rebreget... Moulins-Engilbert mis à part, les Alloury sont vus au château de Boux, à Anlézy, Decize, Isenay, Limanton, Commagny, Chougny, Aunay-en-Bazois, Sermages, Chiddes,... à Blancey en Côte d'Or et à Saint Prix, en Saône-et-Loire. Assurément, la famille est assez prolifique et prospère pour être présente un peu partout sur un rayon de vingt à trente kilomètres puisqu'on la voit jusqu'à St Cy Fertrève, Prémery et Luthenay-Uxeloup. Et puis, sous Louis XIV, il y a un exode, politique celui-là : un certain Michel Alloury, né en 1617, docteur en Sorbonne, opposé à la bulle unigenitus, est exilé à Saint-Malô où il meurt en 1684... Au 19ième siècle, on voit même des Alloury à Saint-Denis-de-Palin et à Sury-près-Léré, dans le Cher. Certains Alloury se déplacent en région parisienne, dans le cadre de fonctions juridiques et administratives : on en voit dans le 14ième arrondissement de la capitale, à Boulogne-Billancourt, à Villeneuve-la-Garenne. Economiquement, les Alloury, famille de moyens propriétaires, vivent, si profession il y a, essentiellement de commerce et d'artisanat, ce sont avant tout des précurseurs d'industries. Et un certain nombre embrassent des professions libérales et intellectuelles. D'autres encore vont se lancer dans la politique.

Quelques lignées d'Alloury ont été annoblies au 18ième siècle : on voit alors, jusqu'au 19ième siècle, des Alloury de Grandfond, des Alloury de Thard et des Alloury de Précy. Au dix-neuvième siècle, cette famille agricole puis commerçante appartient indéniablement à la moyenne bourgeoisie pré-industrielle. Une souche Alloury habita longtemps le domaine d'Anizy, entre Panneçot et Moulins-Engilbert.

Très tôt, les Alloury demandent à participer à la vie municipale comme il est attesté dès le Moyen-Âge (participation au syndic communal). La position sociale de la famille en autorisait déjà certaines fonctions, notamment après les lettres d'affranchissements du 13ième siècle. En 1704, un certain Lazare Alloury, tanneur, est capitaine de la milice bourgeoise. En 1730, on voit un Guillaume Alloury échevin de Moulins-Engilbert, juge ordinaire de la châtellenie, avocat au Parlement et subdélégué ; en 1742 on le voit également receveur des gabelles de Moulins-Engilbert. En 1732, Michel Alloury et Jean Rebreget, fabriciens de l'Eglise Saint-Jean-Baptiste de Moulins-Engilbert, alertent M. Joseph de Vigouroux de l'état désastreux du beffroi de l'église, qui devra être réparé quant aux jougs et boiseries, et les cloches remontées. Au début du18ième siècle, un certain chanoine Alloury recopie des documents religieux et se fait connaître par ses études historiques sur la féodalité nivernaise. Les Alloury participent également à l'administration révolutionnaire : ainsi Henri-Guillaume Alloury, garde de Monsieur, fut-il élu comme électeur pour la paroisse de Moulins ; ainsi Michel Lazare Alloury-Theury participe-t-il à la municipalité de 1792, avec François Isambert, puis en 1793, au Comité de Sûreté Générale. En l'An IV, Nicolas Alloury est nommé assesseur au tribunal de police correctionnelle de Moulins-Engilbert avec Jean-Boizot et François Isambert. Puis, sous le Nouveau Régime, Marie-Jean Alloury est maire de Moulins-Engilbert, de 1832 à 1835 ; il pave certaines rues de Moulins-Engilbert, reconstruit le pont de la rue Chaude, refait la toiture de l'Eglise de Commagny... ; surtout, il entame la reflexion sur l'extension de l'hospice en lieu et place de l'ancien cimetière. Dès 1844, Jean-Louis-Antoine Alloury (1805-1884) publie deux articles sur les Philosophes français, dans le Journal des Débats du 22 février et du 6 mars, auxquel Adolphe Taine va répondre en 1860. Jean-Louis Alloury, natif d'Anizy, près de Moulins-Engilbert, parti à Paris après de brillantes études à Moulins-Engilbert, pour y accomplir des études d'avocat, travailla même pour son compatriote Dupin, mais les événements de Juillet le détournent de son Code Civil, et il s'adonne rapidement à la politique par le journalisme. Devenu effectivement journaliste - et passionné - au "Journal des Débats", il entame une vie politique importante, intervient avec d'autres dans le débat d'idées, notamment sur les questions de libertés religieuses. Très vite, il va passer pour un éminent polémiste. Bonapartiste, proclérical, il est contesté par un article de Jacques Crétineau Joly : "La Vérité sur les Jésuites et sur leur doctrine. Réfutation des écrits de MM. Michelet, Quinet, Libri, Dupin, Lacretelle, Alloury, et des articles du "Journal des débats," du "National" de la "Revue des Deux-Mondes" et du "Courrier français". C'est toujours Louis Alloury qui, le 21 octobre 1845, écrit et envoie une "Lettre au secrétaire général de la Justice en faveur de Camus, huissier à Château-Chinon", à propos d'une ténébreuse affaire d'expropriation à Moulins-Engilbert. En 1846, le Comité électoral pour la défense de la liberté religieuse reprend des articles de Louis Alloury à l'adresse des électeurs de la Nièvre. Car, sous le ministère de M. Guizot, Jean-Louis Alloury se présente aux élections dans l'arrondissement de Château-Chinon comme candidat conservateur contre le légitimiste Benoït d'Azy... qui ne l'emporte que d'une seule voix ! En 1851, avec la question scolaire, Alloury de Précy, philosophiquement à son endroit, met à la disposition du curé de Moulins-Engilbert, pour une école projetée, un vaste bâtiment, avec cour et jardin, qu'il possède près de l'église, rue Saint-Antoine (ce bâtiment existe toujours). En 1854, Jean-Louis Alloury, journaliste, écrivain et philosophe, intervient sur les doctrines de Gobineau, de Toqueville... L'affaire Mortara en Italie donne une nouvelle occasion à Jean-Louis Alloury, candidat à la députation de l'arrondissement de Château-Chinon, de s'exprimer, le 12 octobre 1858, dans le libéral Journal des Débats, à propos de deux conceptions de l'Eglise catholique, moderne ou obscurantiste, et sur les relations de l'Eglise avec les religions non chrétiennes. En 1860, au Second Empire, des mesures sont prises concernant le développement du pays, qui font débat, et Louis Alloury intervient dans le Journal des débats du 7 décembre 1860 et du 7 février 1861. En 1865, Louis Alloury rend compte de la tournée de M. Casimir Lecomte, dans l'isthme de Suez. La même année, les éditions Sirven publient un recueil de textes de Louis Alloury. Et, en 1882, Louis Alloury publie un article explosif : "Comment s'est fait le canal de Suez" (à propos d'un énorme scandale politico-financier). Bref, les Alloury se font connaître dans la vie sociale et politique locale et nationale et n'hésitent pas à assumer certaines fonctions électives.

Les positions cléricales des Alloury ne sont plus à démontrer. Les prénom et nom de Guillaume Alloury sont gravés dans une des cloches de Moulins-Engilbert avec ceux de Jean Baptiste Pougault et Aubépin de la Moulée. Cette cloche, qui été fondue et bénie en 1807, eut pour parrain Louis-François (ou Antoine Louis) Viel d'Espeuilles, ancien major au régiment d'Angoulême, conseiller général de la Nièvre et pour marraine Magdeleine Pauline (ou Marie Pauline) Sallonnyer. C'est la toute dernière des deux cloches précédentes, qui ont été fondues en 1767 pour la plus grosse (plus d'une tonne), et en 1776 pour la plus petite, toutes avec des "états civils" du même genre.

Louis Alloury mis à part, Guillaume Etienne Théodore Alloury (1815-1866) restera l'un des historiens et juristes les plus connus de cette grande lignée locale. Le Bulletin de la Société Nivernaise, des Sciences, des Lettres et des Arts de Nevers, dans son fascicule 3 du volume XXVIII de 1933, en parle longuement sous la plume de H. Gudin de Vallery. La culture locale n'est pas négligée non plus : Pierre de Frasnay, seigneur, poète et écrivain natif de Moulins-Engilbert au 15ième siècle, a été étudié par M.M. Alloury et Trouffaut, travail qui a été rapporté par le docteur Subert et Paul Meunier en 1899.

Cette belle famille terrienne et intellectuelle devait perdurer jusqu'à l'entre-deux-guerres. Quatre naissances étaient encore signalées sous ce nom à Fertrève, dans la Nièvre, entre 1916 et 1940. La famillle émigre définitivement dans la région parisienne après la deuxième guerre mondiale où une naissance est constatée à Paris et deux en Hauts-des-Seine dans la période 1941 - 1965, deux naissances entre 1966 et 1990 dans les seuls Hauts-de-Seine, à Villeneuve-la-Garenne notamment. La guerre de 14-18 a dû y être pour beaucoup dans la lente disparition de ce patronyme, si rare actuellement qu'il en deviendrait fossile.

La famille Pougault, endémique de Moulins-Engilbert, qui s'illustra dans des professions libérales, comme le notariat, investiga beaucoup dans la généalogie de cette famille avec laquelle elle est historiquement liée. La famille Héricourt s'y est mise également. Jean-Luc Tissier, le généalogiste des famlles nivernaises issues de la moyenne et grande bourgeoisie, aussi.