Formation de l'Arrondissement de Château-Chinon : où comment, des deux rivales, Moulins-Engilbert et Château-Chinon, Moulins-Engilbert perdit le siège d'arrondissement et celui du tribunal civil
En l'An VIII, la nouvelle Constitution
divise la Nièvre en quatre (4) arrondissements.
Château-Chinon et Moulins-Engilbert se trouvent dans le
quatrième mais ce n'est qu'en 1815 que Château-Chinon
va être confirmé dans le choix de la sous-préfecture. Entre la fin du district et la mise en place des nouveaux arrondissements, Moulins-Engilbert est devenu une "municipalité cantonale". En effet, dans le projet primitif du Conseiller d'Etat Regnault de Saint-Jean d'Angely, lequel, sous les ordres de Bénézech, était chargé de préparer la nouvelle division administrative et judiciaire, la sous-préfecture et le tribunal civil de première instance étaient placés à Moulins-Engilbert. La règle adoptée était de mettre ces établissements dans les villes qui possédaient sous le Directoire le Tribunal de Police Correctionnelle d'arrondissement. Or, un certain Jean Baptiste Charles Guillaume Colon, maire de Château-Chinon et future président du Tribunal Civil, se faisant l'écho des habitants de sa commune, fit un voyage à Paris pour obtenir satisfaction pour sa ville. Les cartes de Regnault prévoyaient bien Moulins-Engilbert comme chef-lieu d'arrondissement avec un tribunal et une sous-préfecture, bien que celui-ci ne tenait pas beaucoup à Moulins-Engilbert. Colon réussit à s'entretenir avec Regnault de la revendication des château-chinonais, grâce à une femme qui habitait dans le même bâtiment que le Secrétaire d'Etat et qui demanda 100 louis, argent qui fut récolté à Château-Chinon et envoyé à Paris par porteur spécial. Le "plan" de Colon va réussir, bien que Colon eût préféré, vu sa profession, le Tribunal Civil à la Sous-Préfecture mais, selon lui, installer une Sous-Préfecture peut attirer un Tribunal d'Instance. Il n'a pas eu tort. Selon des nouvelles rapportées à Colon, Moulins-Engilbert serait le siège du Tribunal Civil mais non celui de la Sous-Préfecture, établie à Château-Chinon. Et Colon ne rentrera à Château-Chinon que lorsqu'il sera sûr du choix porté par le Gouvernement sur sa ville comme Sous-Préfecture. C'était en Germinal An IX. Et le 5 Prairial An IX, M. le Payen de Vigneulle s'établit à Château-Chinon, bien déterminé à n'en point déménager. Les habitants de Moulins-Engilbert ayant eu vent de l'affaire firent pétition auprès du préfet de la Nièvre pour transférer la sous-préfecture de Château-Chinon à Moulins-Engilbert, pétition qui ne fut suivie d'aucun effet. M. le Payen, qui a pris le parti de Château-Chinon, argue que Château-Chinon se trouve au centre de l'arrondissement par rapport à Moulins-Engilbert, situé trop au Sud. En ce temps-là, Château-Chinon (Ville et Campagne) et Moulins-Engilbert avaient des populations à peu près égales, si on intègre à Moulins-Engilbert Sermages et Commagny, alors qu'en réalité, la section communale de Moulins-Engilbert ne devait pas avoir 2.579 habitants mais entre 1200 et 1300 habitants. Il argue aussi que l'accès à Moulins-Engilbert est impossible à cause du manque de routes, alors qu'une route est presque terminée entre Château-Chinon et Nevers et qu'une autre est projetée entre Château-Chinon et Lormes. M. le Payen ne devait pas ignorer que Moulins-Engilbert avait été, bien que ses propos aient laissé entendre le contraire, le siège d'une importante chatellenie du duché de Nivernais, d'un bailliage et d'un Grenier à Sel. Il acquiesçait sur l'"équilibre" entre Moulins-Engilbert, qui possédait le Tribunal d'Instance, et Château-Chinon, qui possédait la Sous-Préfecture. Et le Tribunal fut effectivement installé à Moulins-Engilbert le 9 prairial An IX. Les rapports entre Le Payen, sous-préfet de Château-Chinon, et François Isambert, maire de Moulins-Engilbert, ont toujours été froids. Si les rapports ont été corrects au début, Isambert apparut de plus en plus au sous-préfet comme un homme indolent et négligeant, entravant bien des procédures et exécutions de lois et décrets. Les rapports allaient s'envenimer avec les affaires des cloches de Sermages et, plus tard, de Commagny, toutes paroisses qui avaient cessé de l'être après la Révolution.Ces affaires, qui traînèrent pour Sermages jusqu'en 1821, irritèrent suffisamment le sous-préfet qui se vengera en provoquant le déménagement du Tribunal d'Instance à Château-Chinon. Par ailleurs, d'autres affaires envenimèrent les rapports entre les deux villes comme celles des déserteurs ou réfractaires au Service Militaire, Villapourçon ayant "produit" les plus gros bataillons d'entre eux. Et, dans l'arrondissement, on comptabilisa jusqu'à 79 insoumis, dont bien la moitié provenait du canton de Moulins-Engilbert. Le sous-préfet fit des démarches auprès du "Grand-Juge" (le Garde des Sceaux), le duc de Massa, pour transférer le Tribunal d'Instance de Moulins-Engilbert à Château-Chinon. Plusieurs pétitions et réclamations infructueuses furent envoyées devant plusieurs ministres de la République. Le sous-préfet argua alors des conditions peu sûres de détention des prisonniers, dans des locaux insalubres et exigus : c'étaient les caves ou caveaux de l'ancien couvent des Ursulines. Pour appuyer ces arguments, une délégation fut envoyée à Paris en 1806. Suite à
quoi, les choses allèrent assez vite. Nous étions en
1810. Compréhensible dépit des habitants de Moulins-Engilbert ! Les membres du Tribunal Civil n'avait pas demandé leur transfert. Délégation fut donc faite par Moulins-Engilbert auprès de Paris pour "rapporter" le décret. Un "Mémoire pour la ville de Moulins-Engilbert, capitale du Bazois, contre la ville de Château-Chinon" fut rédigé par un avocat, célèbre en son temps, Maître Dupin. On y a su que M. de Vigneulle a pris moins d'empressement à loger le Tribunal Civil dans une partie des locaux de la Sous-Préfecture qu'il ne la fait pour le transférer dans sa ville. En 1814, M. de Vigneulle a été remplacé par le Préfet Janole et à Moulins-Engilbert, un an avant, Isambert avait démissionné pour raison de santé, remplacé par Curé de la Chaumelle. Entre temps, Napoléon avait abdiqué, remplacé par Louis XVIII. Tous ces éléments semblent avoir joué en faveur de Moulins-Engilbert car il semble que Louis XVIII soit mieux disposé à comprendre la position de Moulins-Engilbert. Le 14 janvier 1815, Moulins-Engilbert est informé que par Ordonnance Royale donnée au château des Tuileries le 3 janvier précédent, le décret du 10 août 1810 est annulé avec retour du Tribunal Civil de Château-Chinon à Moulins-Engilbert. Des travaux d'emménagement sont entrepris mais le transfert se fait attendre. Les travaux continuent, cette fois contrôlés par un ingénieur d'arrondissement et par un autre des Ponts & Chaussées. Et puis, la météo s'en est mêlée : l'hiver, rude, a rendu les chemins et les transports difficiles. L'exécution de l'Ordonnance du 3 janvier est en sursis. Le 26 février, Napoléon quitte l'île d'Elbe et les Cent Jours commencent. Le 15 mars, la Nièvre est mise en état de siège. Le 19 mars, Louis XVIII quitte Paris et Napoléon rentre aux Tuileries le lendemain. Sur le plan local, un dernier délai est accordé pour le transfert du Tribunal Civil à Moulins-Engilbert, fixé au 1er Mai. L'affolement commence, avec son lot d'incidents. Les membres du Tribunal déménagent en force le Tribunal à Moulins-Engilbert en ignorant les pouvoirs, en violant la subordination et en s'armant contre les agents de l'autorité. Ce comportement délictueux va être fatal pour la cause de Moulins-Engilbert. La Cour de Bourges, alertée, va rétablir la hiérarchie et le 6 avril 1875, un décret impérial annule le décret royal du 3 janvier. Il consacrera à tout jamais le Tribunal Civile d'arrondissement à Château-Chinon. Le Maire de Moulins-Engilbert, Curé de la Chaumelle, n'avait pas respecté la subordination et la hiérarchie des pouvoirs ! Côté Château-Chinon, le sous-préfet Janot laisse la place à François Sallonyer de Chaligny qui demeurera à Château-Chinon jusqu'en 1831. Napoléon est défait une deuxième fois à Waterloo et Louis XVIII reprend le pouvoir. Le décret
du 6 avril 1815 allait être annulé par le Roi. Mais
l'avocat Dupin qui, entre autres personnages, avait
plaidé pour Moulins-Engilbert en 1810, plaide cette fois
pour Château-Chinon. Pourquoi, sinon qu'entre temps, il
avait été élu par les habitants de Château-Chinon à
la Chambre des Représentants pendant les Cent-Jours. Et
le 25 décembre, une Ordonnance Royale confirmait le
décret impérial du 6 avril, annulant l'ordonnance du 3
janvier... Sources : Gabriel Vannereau, Moulins-la-République, 1962 |