Qui n'a pas été attiré par un lieu-dit de Moulins-Engilbert, "la Croix Guillier" ? Les Guilliers sont en fait une famille endémique de Maux, ayant, au cours des siècles, progressivement investi Moulins-Engilbert et ses environs. Cela dit, le patronyme Guillier n'est pas propre à la Nièvre, puisqu'on le trouve un peu partout, non seulement en Bourgogne, mais encore en Franche-Comté, dans les Vosges, dans les Pays de la Loire et en particulier dans la Sarthe, en Sologne, en Bretagne et, bien-sûr, dans la région parisienne. Sur la place Moulinoise, les Guillier étaient tellement nombreux qu'il a fallu assez rapidement distinguer, pour les plus fortunés, les lignées par un nom de village, de lieu-dit ou de domaine (fiefs, terres, châteaux...). Ainsi les Guillier de Mont (en Genevray) étaient vus à Maux et, plus tard, à Nevers, les Guillier de Cremas, ceux des Vallerins et ceux de Montchamois étaient vus également à Maux. et, plus à l'Est, sur la commune de Moulins-Engilbert, les Guillier de Vauvelle. Les Guillier de Tramanson sont vus à Moulins-Engilbert, Saint-Saulges et Sermages. Les Guillier de Chalvron ne sont vus qu'à Moulins-Engilbert avec les Guillier du Four. Les Guillier n'hésitent pas à placer leurs filles à des aristocrates souvent fort éloignés, et un certain François Guillier de Montchamois se maria à Cosnes au lendemain de la Révolution. Mais dans l'ensemble, les Guillier se marient avec des gens du pays et l'on y détecte les noms bien connus de Reullon, de Pougault, de Duruisseau, d'Alloury, de Sallonnyer, de Lemoine, de Robert et même, en 1754, un mariage avec une fille de Meun de la Ferté, Reine. Les autres Guillier, ceux de condition inférieure et qui ne s'étaient donc pas distingués par un nom de lieu ou de domaine, étaient vus à Moulins-Engilbert, Limanton, Sermages et Maux. D'autres sont encore vus dans les Puisaye nivernaise et iconnaise, notamment à Fontenoy. Certaines lignées, très prolifiques, les moins nanties également, ont connu aux siècles derniers des progénitures nombreuses, l'une d'entre elle ayant même atteint, de 1727 à 1751, les douze enfants... tous ayant vécu à plus ou moins long terme. Les Guillier sont détectés dès le 16ième siècle.

Par leurs mariages avec de riches jeunes-filles de la bourgeoisie locale, les Guillier avaient agrandi considérablement leur patrimoine et possédaient de nombreuses terres non seulement dans les paroisses de Moulins et de Commagny, mais dans les paroisses d'alentour et, en particulier, dans celle de Maux.

Quelles étaient leurs occupations ? Très nombreuses et variées, comme on peut s'en douter. Hormis les activités agricoles, surtout dévolues aux moins favorisés, il y a eu des prêtres, des docteurs en médecine, des notaires royaux, des avocats en parlement, des juges fiscaux... et des hommes politiques. François Guillier de Mont était avocat en parlement, conseiller du Roi, grenetier au grenier à sel et lieutenant civile et criminel de Moulins-Engilbert. Vers 1755, on ne comptait pas moins de six prêtres dans les paroisses des environs sous ce patronyme. Au 18ième siècle, Charles François Guillier de Mont fut lieutenant général au bailliage et duché-pairie de Nevers, charge qu'il occupa dès 1778 en remplacement de son père Charles, Charles Guillier de Mont, avocat en 1735, nommé lieutenant-général du bailliage de Nevers en 1743. Il avait un autre fils, Pierre-Basile Guillier de Chalvron (à l’époque commissaire des guerres à Clamecy) qui finira comme avoué à Avallon. Philibert Guillier du Four fut maire de Moulins-Engilbert pendant la Révolution. A partir de 1780, année de la mort de son père, François Guillier de Montchamois reçoit l'office de grenetier ainsi que celui de lieutenant de la châtellenie de Moulins-Engilbert. En 1790, il est élu, comme représentant du district de Moulins-Engilbert, membre du Conseil Général de la Nièvre, avec Guillaume Thollet, de Vandenesse, André Reullon, de Limanton et Léonard Balandreau, de Maingot, puis membre du Directoire de Moulins-Engilbert. Il est reconduit dans ces fonctions l'année suivante alors que Guillaume Thollet devenait président du Conseil Général, ce jusqu'à sa destitution par la Société Populaire de Nevers pour "fédéralisme" et la dissolution, en 1793, du Conseil Général. François Guillier de Montchamois sera alors administrateur de la Nièvre jusqu'après la chute de Robespierre. A partir de 1795, l'administration du département est réorganisée et François Guillier n'en fait plus partie - il avait été sans doute trop actif sous la Terreur, notamment à la suite de sa nomination comme juré suppléant au Tribunal Révolutionnaire qui allait devenir, suivant l'expression du juge Naulin, "le tribunal de la boucherie", puis, revenu sur la Nièvre, zélé président du tribunal crminel de la Nièvre qui, sous sa férule, condamna "par erreur" en 1794 à la guillotine un certain Philippe Levacq, aumônier de la paroisse dans Saisy, puis, la même année, l'abbé Hugues Rotier... Jusqu'à ce que, le 29 prairial An III, il fût arrêté par deux gendarmes de Nevers et placé à la maison d'arrêt de Moulins-Engilbert... Il réussit à se dégager de se mauvais pas et, après une période silencieuse d'environ trois années, revint aux affaires de la Nièvre et, notamment à partir de la Constitution de l'An VIII, fit partie du Conseil de département jusqu'en 1810. En effet, il avait favorisé entre temps l'élection des jacobins aux élections de Germinal An VI sur le district de Moulins-Engilbert.

Au 19ième siècle, Jean-François Guillier de Vauvelle, qui avait été administrateur du district sous la Révolution, remplit les fonctions de magistrat de sûreté à Moulins-Engilbert et, à partir de 1810, François Guillier de Montchamois celle du président du tribunal de première instance de Cosne sur Loire, ville où il devait se marier avec la fille d'un juge de paix de cette ville, Marie-Thérèse Baubois des Grandes-Maisons. Ce mariage allait provoquer la vente de tous ses biens à Maux et Moulins-Engilbert. Né à Moulins-Engilbert en 1754, il devait mourrir à Cosne en 1832.

Citons encore un certain Marie Jean François Guillier de Chalvron qui fut en 1813 capitaine du 60ième régiment (ex légion de l'Yonne) et chevalier de la Légion d'Honneur, puis lieutenant colonel. Il fut gravement blessé à la bataille de Leipzig (14,16 et 18 octobre 1813), au temps des guerres napoléonniennes. Un autre, Charles Guillier, était médecin pendant la Révolution Française. C 'est précisément lui qui obtint de l'administration pénitentiaire de l'époque la libération en sursis de son neveux François Guillier de Montchamois des cellules de Moulins-Engilbert.

Gabriel Vannereau consacra tout un chapitre à François Guillier de Montchamois dans son livre, paru en 1962, "Moulins-la-République". Pourquoi, si ce n'est que François Guillier de Montchamois fut un personnage extrêmement important tant sur le plan local que départemental et national, et que son histoire a été exemplaire à plus d'un titre. Cela dit, les Guillier, même s'ils ne sont plus guère présents sur Moulins-Engilbert, sont toujours une famille bien vivante en Bourgogne et en France, et le patronyme, adjoint ou non d'un nom de domaine, n'est actuellement pas prêt de s'éteindre. En particulier, on retiendra dans la lignée de Chalvron, qui perdure à l'heure d'aujourd'hui, un certain Bernard Guillier de Chalvron (né en 1911) qui, licencié en droit, diplômé de l'École des Sciences politiques, fut, entre autres postes diplomatiques, conseiller d'Ambassade à Madrid après la guerre et ambassadeur en RDA de 1974 à 1976, ainsi qu'un certain Jean-Guy Guillier de Chalvron, haut fonctionnaire au Ministère de l'Intérieur et de l'aménagement du Territoire en 2005. C'est cette dernière famille qui est encore présente à Maux, au lieu-dit du manoir de Beunas. Sur le plan de la géopatronymie, les Guillier de Chalvron paraissent se replier actuellement dans le Dauphiné et les Savoies après s'être répandus en Bourgogne et implantés en Ile-de-France, et particulièrement à Paris. Mais il y en a bien d'autres...