Plus généralement, tout a été transporté par le fleuve, matériaux, produits, hommes et animaux. Les marchandises non périssables en constituaient le volume le plus important. La cathédrale d'Orléans et le château de Versailles utilisèrent la Loire et, plus tard, le canal de Briare, pour le transport des pierres d'Apremont, pour ne pas parler des grès de Neuvy et de Saint Amand-en-Puisaye. La faïence de Nevers était expédiée à Paris via la Loire et le canal de Briare. On sait qu'au 18ième siècle les chalands partant de Roanne et passant par Nevers ne transportaient pas qu'une seule marchandise puisqu'on notait des balles de raisin, de l'eau de fleur d'oranger, des balles d'amandes, des tonneaux de fromages, des caisses de citrons, etc, dans la même embarcation. Les forêts de Premery et des Bertranges fournissaient du charbon de bois à la ville de Paris et, au 17ième siècle, les français consommaient une tonne de bois par an. Quant à la durée des transports, il fallait en moyenne six (6) jours à un simple bateau pour relier Roanne à Orléans. Pour un train de chalands fort chargés, il fallait presque six (6) mois pour relier Roanne à Nantes. La vitesse moyenne par jour était d'envrion sept (7) lieues, soit près de trente (30) de nos kilomètres actuels.
La profession était organisée. Elle l'était déjà au temps de l'occupation romaine. La "Communauté des Marchands fréquentant la Rivière de Loyre et autres fleuves descendant en icelle" apparaît concrètement dans une charte de 1382 dont le champ d'action s'étend de la vie des mariniers à l'entretien du fleuve. A partir de 1477, elle exerça un "droit de boite", au reste fort modique, sur les marchandises transportées, droit qui, malgré sa suppression en 1764, perdurera jusqu'à la fin de la marine de Loire. Avant le 15ième siècle, la Communauté se réunissait à Pâques, et à parir du 15ième siècle, au mois de mai, traditionnellement à Orléans. Suivant les époques, de 22 à 35 villes portuaires étaient représentées. Decize, Nevers, Marzy-Le-Guétin, la Charité et Cosne représentaient le Nivernais. En 1722 la Communauté s'efface devant l'administration royale qui prend alors en charge la gestion des transports et l'entretien du fleuve.
La navigation, qui se faisait par
chalands, toues et sapines essentiellement, décroissait en décembre,
janvier et février du fait des crues et des glaces, et d'août
à septembre à cause des étiages. L'obstacle des crues
l'emportait sur celui des étiages. Entre ces deux extrêmes, les
mariniers de la Loire décelaient les "eaux
marchandes", en fait les mini-crues qui permettaient le
départ des bateaux chargés à la descente.
Les chalands de la Loire étaient
des bateaux à voile carrée à architecture complexe dont on a
fait des reconstitutions dans les pays traversés par le fleuve.
Le fond plat et le "piautre", sorte de grand gouvernail très mobile à
l'arrière, d'origine très ancienne, les caractérisaient. Les
sapines étaient des bateaux à usage unique que l'on
"jetait" pour le bois de feu après déchargement et
livraison de la marchandise en aval seulement de leur
point de chargement car les sapines ne remontaient pas le fleuve.
En revanche, les chalands
descendaient la Loire avec le courant et la remontait à la voile
carrée. Ils naviguaient en "trains". Lorsqu'ils
remontaient le fleuve, ils étaient solidarisés ensemble en
"équipe" ou file indienne, gréés par des espars de sécurités (les perchés), ce qui permettait
d'utiliser les énergies humaines de chacun d'entre eux en
synergie. L'équipe s'avérait particulièrement intéressante
lors des "endrémages", c'est-à-dire une manoeuvre qui
consistait à abaisser les mâts avant de passer sous les ponts
et à les remonter après, et la manoeuvre devait être
parfaitement synchronisée. Dans ces trains de chalands, le
chaland de tête s'appelait "la mère" et correspondait
au bateau le plus performant. Quant aux sapines, dépourvues de
voile, bien-sûr, elle ne remontaient jamais le fleuve. Elles le
descendaient en "couplage", l'une en
"boutavant", l'autre en "coue". Elles se
caractérisaient par leur "empeinte" et
"patouille", sorte d'avirons très longs qui servaient
de gouvernail, le premier situé à l'arrière (ou à la poupe)
et le second à l'avant (ou à la proue) de l'embarcation.
En fonction des taxes acquitées,
mais non en fonction de la qualité de la marchandise
transportée, certains bateaux étaient dits
"accélérés", c'est-à-dire qu'ils avaient priorité
sur les autres.
Il existait également des
chalands de taille plus petite ou moyenne, souvent destinés à
la pêche, que l'on appelait des fûtereaux ou des
"mahons", l'origine de ce dernier nom étant
vraisemblement turco-arabe. Ces futereaux étaient plus adaptés
à remonter et descendre des affluents comme l'Aron.
Les "pataches" des
gabelous, c'est-à-dire les bateaux des douaniers percepteurs de
la gabelle perçues sur le commerce du sel, interceptaient les
chalands concernés par ce commerce. Suivant l'importance de
l'interception, les fermiers généraux utilisaient également
ces "pataches".
Sur la région, les ports
aménagés de Decize, de Nevers et de la Charité servaient au
chargement et déchargement des bateaux et, avant l'achèvement
du canal du Nivernais, des fûtereaux remontaient même l 'Aron
jusqu'à Cercy-la-Tour. Ce petit port allait devenir la
"râcle", ou zone de mouillage profonde, du canal du
Nivernais lors de sa construction, en 1835. Le sel déchargé
était ensuite acheminé par voie de terre sous bonne garde dans
les divers greniers à sel de la région, et Moulins-Engilbert en
avait un, situé place Notre Dame (l'actuelle place Lafayette),
dont les bâtiments existent toujours.
Ce type de navigation coexistait
plus ou moins bien avec la technique du flottage des bûches dont
une partie provenait du Velay et du Morvan, cette technique ayant
été à l'origine de la catastrophe de 1804 qui provoca
l'effondrement du pont de Crotte à Decize, le
"flotteur" ou le "pousseur", c'est-à-dire le
conducteur de ces radeaux de bûches, ayant perdu la maîtrise de ses bûches. Au milieu du 18ième siècle, on compta au péage de Myenne sur dix-huit mois 511 radeaux et 47.438 planches, les bois étant vendus sur le parcours selon les besoins. La navigation par chalands devait perdurer
pratiquement jusqu'au début du 20ième siècle avec
le flottage des bûches. Les nouvelles circulations plus adaptées aux canaux, le canal Latéral en 1838 et le canal du Nivernais en 1842 en particulier, avec l'apparition des "flûtes bourguignonnes' et des "bâtards du Nivernais" inspirés des précédentes et des péniches flamandes, puis la concurrence sévère des chemins de fer à partir des années 1860, allaient définitivement sonner le glas des chalands. A partir de 1822,
elle voisina avec des bateaux de voyageurs, à vapeur et à aube,
qui circulaient sur les parties les plus navigables du fleuve, reliaient Nevers à Nantes en 40 heures dès 1838, et
que la population appelaient ironiquement des
"inexplosibles"... car parfois, ils explosaient
vraiment !
Sources : Charles Berg, Jean Hanoteau (S.I. de Decize, 1976), Jean-Paul Guillon (Editions Loire et Terroirs, 2004)
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