La Communauté taisible des Panné-Garreau sur les paroisse et commune de Préporché
ou "
comment il y en eut pour tous les Garriaux !"


"Il y en a pour tous les Garriaux !" était une expression bien comprise à Préporché et alentours, car elle suggérait un repas si abondant qu'il pouvait se justifier pour une communauté de parsonniers comme celle des Garreaux. Alors, pourquoi une communauté à Préporché comme il y en eut bien d'autres dans le Morvan et ailleurs ?

Si les 9ième et 11ième siècles étaient intimement liés à la féodalité, les communautés paysannes serviles avaient bien des raisons de trouver les moyens d'échapper au droit coutumier de la mainmorte qui, depuis déjà bien longtemps, déterminait la saisie par le seigneur du bien d'un serf décédé. Au cours de ces siècles, les campagnes étaient dévastées par les guerres, les monastères menaçaient ruines et se vidaient, et les seigneurs s'entre-déchiraient. Il fallait donc s'unir pour s'entre'aider. Par ailleurs, pour des raisons fiscales, plus on était nombreux par feu, ou par cheminée, ou encore par pot, moins l'impôt était élevé par individu. De plus, dans le Nivernais, la coutume seigneuriale appliquait le droit de blairie, à savoir le droit qu'avaient certains seigneurs de permettre à leurs habitants de mener paître leurs bestiaux sur les chemins publics, les terres à grain et les prés de leurs terres, après l'entière dépouille ; ce droit de blairie était aussi appelé en d'autres lieux - et d'un terme mieux connu - droit de vaine pâture. Enfin, la coutume nivernaise y appliquait aussi le bordelage, sorte de tenure en roture, suivant des charges et conditions particulières telles que l'application par le seigneur d'un droit de commise en cas de non paiement de la redevance, la tenure n'étant pas démembrable, l'héritage devant être correctement entretenu sans possibilité de succession par les collatéraux (lignées parallèles) s'ils n'étaient pas communs avec le défunt de la communauté coutumière, et le seigneur ayant un droit de préemption en cas de vente à un tiers. Aux Garreaux, le bordelage était notamment dû aux seigneurs de Vandenesse (Talleyrand), de Vilaine (du Crest) et du Marry (de Clerroy).

C'est dans ce contexte légal féodal de communauté de tous biens mainmortables que les Panné, à l'origine ne sachant ni lire ni écrire, pères, mères, frères et soeurs, habitaient aux Garreaux (ou Garriaux, pour la forme dialectale) sous forme de communauté taisible, c'est à dire, par le fait même de leurs vie et travail en commun, en échappant aux principes écrits ci-dessus énoncés et ainsi tus. En l'absence d'écrits, le principe de la "parole donnée" était au coeur de ce dispositif communautaire. Les premiers documents retrouvés sur la Communauté datent de 1539, bien que l'existence de cette communauté peut être estimée à compter du 13ième siècle, siècle d'apparition de bon nombre de communautés taisibles en Nivernais et en Berry, peut-être même du 11ième.

Pour sa part, le seigneur avait tout intérêt à voir les paysans serfs ou libres se regrouper en vue de faciliter l'exécution des travaux lourds, travaux pénibles et tâches d'entretien notamment.

La Communauté rassemblait une quarantaine de parsonniers sous un même feu, c'est à dire des membres détenant part dans la communauté dont la propriété était ainsi collective, donc à statut juridique d'indivision. Et, comme on l'a vu, le travail en commun des paysans avait sa réponse dans une moindre charge fiscale par tête. Il semble que le nombre de quarante n'ait jamais été dépassé pendant toute la période où la communauté a perduré, ce qui laisse supposer que le "trop plein" communautaire allait "essaimer" ailleurs. Suivant plusieurs généalogies publiées sur GénéaNet, il s'avère que les filles quittaient surtout la Communauté par mariage au 18ième siècle et allaient s'établir à Villapourçon, Onlay, Commagny et Saint-Honoré, et que des hommes commencèrent à s'"expatrier" au 19ième siècle à Blismes, Châtin, Cercy-la-Tour, Montreuillon, Moulins-Engilbert, Corbigny, Saint-Péreuse...

La Grange Neuve était la maison d'habitation des Panné qui, malgré son nom, avait une cheminée. L'huilerie attenante - qui produisait de l'huile de chanvre pour les ouvrages - a disparu en 1857. Cette maison commune a été divisée en cinq (5) parts, ce qui constitue une notable exception car par principe les communautés habitaient dans une seule et même pièce. Des maisons annexes étaient même disposées autour de la maison commune, elles-mêmes appartenant à la communauté. Les repas n'étaient pas forcément pris ensemble, c'est-à-dire au même pot, et les sexes et rôles hiérarchiques différaient suivant les communautés.

Les Moulins des Garreaux ont été achetés en 1743 par la communauté qui devait une redevance de six (6) livres au prieur de Commagny.

Autour des bâtiments, les parcelles de la communauté se composaient d'ouches et de cheintres. Les ouches étaient les meilleurs prés qui, d'ordinaire, étaient réservés au chanvre cultivé pour l'huile d'ouvrage. L'étendue du domaine s'élevait à quatre-vingt-huit (88) de nos hectares actuels, ce qui, pour un village comme Préporché, était énorme. Marcel Vigreux avait évalué la surface moyenne des exploitations individuelles à deux (2) hectares dans cette paroisse. Toutes les parcelles étaient cultivées en commun et leurs fruits étaient comptabilisés en commun. Il pouvait également y avoir des biens propres qui venaient des héritages, par mariage, car les jeunes filles abandonnaient leurs biens par mariage. Plusieurs domaines sont encore actuellement connus : Les Terreaux, Trucy, les Morillats, Achez, les Beaunées... et plusieurs d'entre eux furent acquis par le jeu des alliances.

Comme dans toute communauté, il y avait un "Chef" (qui pouvait aussi être une femme). Ce Chef représentait les parsonniers et rendait des comptes à tous les associés. Le Chef de la communauté des Panné ne s'est pas toujours appelé "Panné", ceci venant du fait que le fils qui devait prendre la succession était encore trop jeune pour la fonction, et, en intérim, la communauté élisait alors quelqu'un d'autre de la famille, toujours issu des Panné. Le premier Chef connu au 16ième siècle fut Philibert Panné.

Le Chef n'avait pas qu'un rôle de gestionnaire d'exploitation. Plus généralement, il réglait et contrôlait la vie sociale et financière de la communauté. Ainsi, lors des mariages, il fallait payer cent (100) livres au chef, et aussi bien les garçons que les filles y avaient droit. Ces cent livres ne devaient pas être confondues avec la dot. En effet, celle-ci était amenée en biens meubles par la jeune fille, en argent par le jeune homme, la somme s'élevant pour lui souvent à mille (1.000) livres. Bien-sûr, les mariages étaient "arrangés". Le cheptel apporté en biens meubles se composait essentiellement de porcs et de moutons, plus rarement de vaches et de tauraux. En cas de décès du mari, les cent livres étaient rendus à la veuve auxquelles on ajoutait soixante (60) livres pour les services rendus. Ces gains étaient mis en compte au bout de trois-cents (300) jours : il fallait évidemment être sûr que la veuve n'attendait pas d'enfants. A l'issue de quoi la veuve pouvait ou ne pouvait pas sortir de la communauté, tout dépendant du contrat qui la liait à la communauté.

Juridiquement, la femme faisait tête, c'est-à-dire qu'elle comptait autant que l'homme dans la gestion des effectifs de la communauté et du travail rendu. Les mariages étaient précoces et la coutume prévoyait que "les femelles pouvaient se marier à douze (12) ans, les hommes à quatorze (14) ans". Sur cinquante-six (56) actes de mariages consultés, plus des deux tiers étaient contractés entre douze (12) et trente-trois (33) ans. Mais les couples, qui avaient beaucoup d'enfants, en perdaient aussi beaucoup et le cas a été relevé d'un couple qui perdit dix (10) enfants sur les douze (12) nés.

Quant à la vie, elle était, comme partout, faite de tensions et de réconciliations. Il y eut ainsi des procès avec les bordeliers. Il y en eut un autre avec les Boiret. Certains parsonniers ont voulu quitter la communauté. D'autres l'abandonner par découragement. Et puis, avec la convocation des Etats Généraux par Louis XVI en 1789, la Révolution est arrivée. Simon Panné, alors chef de la communauté à partir de 1788, voulut démissionner. Ce sera le dernier de la dynastie aux Garreaux. Les lois étaient de plus en plus coercitives vis à vis des féodaux et les seigneurs émigrèrent les un après les autres. Leurs biens allaient être confisqués. Mais la raison de la disparition de la communauté, si elle est liée à la période révolutionnaire, fut différente.

En 1793, la dissolution de la communauté fut prononcée et les terres ne pouvaient plus être exploitées en commun. En effet, la loi Chapelier de 1793 stipulait que l'on ne pouvait plus se regrouper. Le principe communautaire, qui plus est taisible devenait illégal. Le statut de parsonnier passa donc à celui de consort. Ce qui sous-tendait la notion de partage des biens, opération qui s'avéra délicate et longue. De fait, tant que le partage n'était pas consommé, de la communauté, on est passé au consortium. Puis du consortium à un ensemble de propriétaires villageaois réunis géographiquement au sein d'un seul et même hameau.

Les Panné ont quasi exclusivement paraphé les cahiers de doléances de Préporché. Simon Panné fut élu avec un autre délégué pour leur constitution. A Préporché, le rôle des Panné a donc été pendant la Révolution très important. Quant au Sieur Simon Panné, il intervint dans la gestion de la commune nouvellement créée et, pour l'église, au Comité des Fabriciens.

En 1820, il y avait encore soixante-sept (67) personnes aux Garreaux. Le partage de la communauté, voulu par la nouvelle loi, n'avait pas encore été réglé. Celui-ci, suite à des recours et contestations, a été révisé et définitivement réglé le 13 septembre 1823 après revendication de cinq (5) "oubliés". Maître Dupin, rapporté par Victor Considérant et Victor Meunier, rapporte que la communauté des Garriaux était dans les année 1840, soit après partage, assez misérable par rapport à celle des Jaults, semble-t-il, bien mieux gérée, mais qui fut sérieusement ébranlée par les crises de 1817, 1839, 1845-46, la dernière allant être fatale.

Que devinrent les Panné ? Assurément, c'est un patronyme que l'on voit et entend encore dans nos contrées et dans les contrées voisines. Le Pontot à Moulins-Engilbert leur appartint dès le 19ième siècle. Certains Panné embrassèrent des professions importantes. Au début du siècle dernier, Albert Panné, chirurgien, fonda un service de chirurgie à l'hôpital de Nevers et pratiqua la première opération de trachéotomie sur un malade atteint de diphtérie. Il mourut en 1917.

Un autre descendant, décédé récemment, possédait une belle résidence à Moulins-Engilbert. Jean-Louis Panné est historien du communisme et rédigea plusieurs ouvrages, Odile Panné s'occupe d'environnement à Dijon et Gilles Panné, docteur en géographie (il soutenut en 1985 une thèse sur l'impact socio-économique du tourisme dans la Nièvre) est directeur touristique au Languedoc-Roussillon.

Sources : suivant dossier déposé en mairie de Préporché, préparé par Serge et Jacqueline Bernard (2006), Bruno de Voucoux, GénéaNet, Victor Considerant et Victor Meunier : Le socialisme devant le vieux monde, p. 85.

La communauté des Panné-Garriau a également fait l'objet d'une conférence de Serge et Jacqueline Bernard, historiens, anciens professeurs au Collège de Moulins-Engilbert, organisée par l'Eco-Musée de Moulins-Engilbert en la salle Bernard à Sermages, le 13 février 2006, et la salle polyvalente à Moulins-Engilbert, le 3 mars 2006. Un ouvrage a depuis été publié fin 2006 sous les hospices de l'Académie du Morvan, sous la signature de Jacqueline Bernard, André Paris et Christian Bouchoux avec la collaboration de Pierre Péré et des familles Bardot et Panné.

Serge Bernard et son épouse, qui habitent sur la commune de Moulins-Engilbert, ont déjà publié trois ouvrages sur Moulins-Engilbert : "Regards", en 1989, et "Moulins-Engilbert : à l'écoute des Pierres", tome I et II, respectivement les numéros 110 et 117 des Annales des pays Nivernais de la Camosine, en 2003 et 2004.