Le pays, outil de coopération intercommunale à une échelle plus large

Au milieu de du foisonnement des communautés de communes, les aménageurs locaux et nationaux ont retenu la notion de "pays" qui leur a paru comme le niveau pertinent d'organisation de la coopération entre intercommunalités sur un territoire correspondant, grosso modo, aux bassins d'emplois de l'INSEE. La loi du 4 février 1995 (loi d'orientation sur l'aménagement et le développement du territoire : LOADT) dite "loi Pasqua", voulait impulser le développement local sur la base d'un projet commun de développement à une échelle plus large que le niveau cantonal, généralement privilégié par l'intercommunalité rurale10. La voie de l'expérimentation fut privilégiée dans un premier temps : un appel à projet de 42 pays tests fut lancé. Les démarches de pays devaient être constatées par la CDCI (Commission Départementale de Coopération Intercommunale), structure présente dans chaque préfecture, présidée par le préfet et le président du conseil général et composée d'élus. Les CDCI devaient, en principe, établir des schémas de regroupement ayant valeur indicative. Mais en raison des craintes des communes, des luttes politiques locales, elles se sont généralement limitées à récapituler les regroupements existants sur le terrain, incitant le rapport Mauroy, rédigé en 2000 (proposition n° 7), à réclamer un renforcement des pouvoirs du préfet (pouvoir d'initiative et d'arbitrage)…!

Une centaine de pays se sont ainsi constitués de 1995 à 1998, et, sur le fondement des "bonnes pratiques" dégagées par les aménageurs à partir de cet échantillon, de nouvelles orientations ont été données à la politique des pays par la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement durable du territoire (LO-ADDT) du 25 juin 1999 dite "loi Voynet", révisant la LO-ADT de 1995. La nouvelle loi introduit des modifications substantielles dans la procédure de constitution des pays qui traduisent le bouleversement du rapport de force géopolitique entre les collectivités territoriales.

La procédure de reconnaissance des pays comprend deux phases distinctes : périmètre d'étude et périmètre définitif. La notion de périmètre d'étude traduit le caractère évolutif du pays. L'initiative de ce périmètre relève des communes ou groupement de communes qui doivent délibérer et se prononcer sur leur adhésion au pays.

Ce processus de décision est soumis à des avis préalables avant d'être administrativement reconnu. Les décisions et amendements parlementaires ont contribué à allonger la procédure en exigeant de nombreux avis préalables. Doivent être consultés tant lors de l'examen du périmètre d'étude que du périmètre définitif, le(les) conseil(s) généra(ux)l, le(les) préfet(s) du département, la CDCI, et, enfin, la conférence régionale d'aménagement et du développement du territoire (CRADT) qui doit, dans ce dernier cas, rendre un avis conforme ou réputé favorable (au-delà de 3 mois sans opposition). Cette CRADT est coprésidée par le préfet de région et le président du conseil régional. Le préfet de région, chargé d'instruire la procédure et de coordonner les différents avis, puis de publier les périmètres par arrêté, prend en compte les avis de la CRADT.

Ces dispositions, traduisent la volonté du législateur de consacrer le niveau régional (et de fournir à l'Etat, par le truchement du préfet de région, le pouvoir d'accepter ou de refuser l'existence du pays) comme niveau de décision pour la constitution des pays, aux dépens du département (loi de 95).

Les pays doivent en principe répondre aux obligations suivantes :

- Constituer un territoire de projet avec élaboration d'une charte sur 10 ans, posséder un conseil de développement dont l'organisation est libre mais qui doit associer les "forces vives" du pays dans le cadre d'un partenariat public/privé.

- Etre caractérisés par une cohésion géographique, économique, culturelle ou sociale. Ce qui suppose de regrouper plusieurs bassins de vie (loi de 95) ou de correspondre à un bassin d'emploi (loi de 99).

- Le pays n'étant ni un niveau administratif ni une collectivité territoriale (il ne lève pas l'impôt), se caractérise par des missions, et celles-ci doivent être distinctes des compétences des EPCI constituant le pays. En cas de chevauchement avec un Parc Naturel Régional, les compétences de ce dernier doivent être respectées. C'est d'ailleurs le cas d'une partie du territoire du pays Nivernais-Morvan.

- L’attribution de moyens budgétaires spécifiques. Afin d'éviter la création d'une nouvelle collectivité, le pays se finance par la politique contractuelle (contrat de plan Etat/Région : CPER dans leur volet territorial introduit, suite au rapport Chérèque de 1998, éligibilité aux fonds européens : objectif 2 et document unique de programmation : DOCUP, programme Leader + en matière culturelle, etc…).

La dynamique des pays vise à un meilleur emploi des crédits publics par leur mobilisation prioritaire au service d'un projet de territoire, porté par les "acteurs locaux", dans le cadre d'une démarche ascendante et descendante, ce que sous-entend la formule consacrée "passer d'une logique de guichet à une logique de projet".

Les élus demeurent les pilotes incontestés de la démarche et les décideurs ultimes dans le cadre du GIP (Groupement d’Intérêt Public) ou des syndicats mixtes, formules juridiques préférées à la simple association. Mais, le conseil de développement ne comprend pas obligatoirement des élus alors qu'il doit comporter des représentants des "forces vives". L'idée est de faire cette instance un cadre de régulation des "conflits d'usage" (par exemple chasseurs/écologistes), de dialogue social territorialisé (patrons/syndicats), de partenariat (entreprises et établissement de formation), etc…

La charte de développement doit comprendre un diagnostic de territoire, définir des axes stratégiques, présenter une vision cartographique et prospective du territoire. Le principe de réalité veut qu'elle s'appuie sur les tendances lourdes qui caractérisent le territoire sans pour autant se satisfaire de l'existant. Elle doit, en outre, s'inscrire dans la perspective du "développement durable" défini au sommet de Rio en 1992, à travers le concept d'agenda 21 locaux. Enfin, elle doit comporter un schéma et un projet de services.

Sources : Jean de Rohan-Chabot, Changement de paradigme du développement et recomposition territoriale, DEA, Univ. de Clermont-Ferrand, 2004.