L'époque des grands chantiers et des premières innovations technologiques - Page 6/21 - <Page précédente> <Page suivante>
Voir la carte de Cassini pour Moulins-Engilbert
Le 18ième siècle, le siècle des Grandes Expéditions Scientifiques (Cook, Lapérouse...), et le début du siècle suivant, voient se développer un réseau routier nettement plus étoffé avec le renforcement des Etats européens. Les grandes villes du Royaume sont maintenant reliées entre elles. Sous le règne de Louis XV, Pierre Trésaguet, inspecteur général des Ponts et Chaussées, invente les « chemins ferrés ». Son procédé consiste à donner à la chaussée des fondations bombées – très solides grâce à une assise en moellons posés en hérisson (debout et enfoncés à la masse) –, lesquelles sont recouvertes d'une épaisse couche de pierraille supportant une surface d'usure faite de sable. Le drainage étant efficace, la convexité de la route est ainsi réduite.

L’axe de Château-Chinon à Nevers est déjà bien présent, signalé par Cassini sous la forme d’un grand chemin (statut qui donna le nom à un lieu-dit près de Saint-Péreuse), quoiqu’avec des gués assez nombreux, et celui de Tamnay oblige de faire un détour vers le Nord. Châtillon-en-Bazois, dans un méandre de l’Aron, est accessible depuis Moulins-Engilbert en passant par l’abbaye de Belleveau (Tamnay est évité du fait du franchissement du Trait, trop profond en cet endroit, en l’absence de pont). La basse vallée du Guignon est, jusqu'à Sermages, déjà empruntée par la route de Château-Chinon qui rejoint la voie romaine des Maillards : elle sort de Moulins-Engilbert par le faubourg Saint-Jacques en traversant les quartiers des Levées et de la Brosse avant de descendre dans le vallon de l'Escame en longeant le Guignon sur la gauche, le long de l'actuelle retenue. Les amateurs de promenades vers la piscine ne savent peut-être pas qu'ils déambulent sur un des axes les plus anciens reliant Moulins-Engilbert à Château-Chinon sur le parcours, non pas moins très ancien, de la chaussée gallo-romaine de Decize à Château-Chinon. Quant à la paroisse de Saint-Honoré, elle continue d'être desservie par l'axe gallo-romain Remilly - Bibracte par le Niret, Sanglier, qui traverse la forêt de Châtillon au-dessus de la Dragne, le Foulon et Petiton avant de gravir les pentes abruptes du Beuvray aux Vieilles Maisons (*). Quant aux autres voies, dites actuellement secondaires, Cassini ne les a pas représentées pour le motif que leur tracé n'était pas considéré comme stable. Ainsi en a-t-il été de la voie reliant Moulins-Engilbert à Saint-Honoré par le château du Mary, les Morillons et l'Hâte.

Sur le plan de l’administration des voies, l’institution de la corvée impose à la population pouvant travailler, d’oeuvrer au moins trente jours par an au maintien des chaussées existantes. Cela ne semble pas suffire car "la route de Nevers qui porte le nom de "voie royale " et la description qui en est faite en 1730 la décrit comme "un chemin étroit, enfoncé, bourbeux et défoncé, impraticable une partie de l'année, sauf pour les animaux bâtés et encore !". L'état général des chemins pose un problème pour le transport du sel, Moulins-Engilbert étant assujéti à la gabelle. Et ce n'est pas par hasard que les chemins venant de la Loire sont relativement bien maintenus. En particulier, la chaussée reliant Decize à Château-Chinon via Moulins-Engilbert a été construite sur les zones non inondables de la vallée de l'Aron, généralement sur les premières pentes et collines, ce qui permettait son bon maintien. Ce tracé, à peine modifié, est encore actuellement vérifié. Cet axe, qui ouvrait des relations vers le Mâconnais et le Forez, a déjà été envisagé dans sa modernisation dès 1785, avec les axes de Luzy et de Lormes.

Parallèlement à la construction de nouvelles routes - la corvée des routes ou "grands chemins", généralisée en 1738, pesait alors sur la seule paysannerie lorsqu'elle fut remplacée en 1787 par un impôt - le royaume lève des impôts considérables pour construire des canaux et la Bourgogne projettera sérieusement le sien dès 1727 avec un début des travaux en 1775, lesquels vont durer cinquant-sept (57) ans pour se terminer en 1832 avec une interruption entre 1793 et 1807 : ce projet titanesque d'une liaison fluviale entre l'Yonne et la Saône avait germé dès 1511 au sein des Etats de Bourgogne, quoique bien vite étouffé par les guerres de religion. Quant au canal du Nivernais, qui passe sur notre canton, les travaux commenceront bien plus tard, en 1784. Le commerce des bois pour la ville de Paris en demandait la construction, surtout après l’hiver catastrophique de 1782-83, mais très vite la finalité de l’ouvrage va être orientée vers un canal de navigation reliant Auxerre à Decize. Lorsque le canal fut creusé dans la région de 1832 à 1842, il devait initialement passer par Moulins-Engilbert mais les habitants de la commune n'en comprirent pas l'avantage et se désintéressèrent du projet. L'ouvrage nécessitera des travaux considérables comme la construction de 108 écluses, les voûtes et tranchées de la Colancelle et un aqueduc d'alimentation en aval de Montreuillon, construit en 1841, dont la prise d'eau se trouve en aval de l'actuel barrage de Pannecière et en amont du Moulin de Chassy (pont de Pannecière). Des ports furent aménagés dans toutes les communes traversées, retenons ceux de Panneçot, de Vandenesse et de Cercy-la-Tour. Après bien des déboires et des arrêts de chantier, notamment entre 1812 et 1822, l’ouvrage va être inauguré et ouvert à la circulation... en 1842. Le flottage des bois, technique que certains du Royaume pensaient déjà archaïque, devait effectivement disparaître quatre-vingts ans plus tard... en 1923. Une "bretelle" de ce canal devait être construite en 1852 entre Panneçot et Moulins-Engilbert, mais ce projet, que l'on pourrait maintenant appeler celui de la dernière chance, demandé par Charles Bonneau, alors maire de Moulins-Engilbert, sera refusé et ne verra donc jamais le jour. Les habitants et le Conseil Municipal, suivant certains de ses comptes-rendus encore consultables, n'y croyaient tout simplement pas ou n'y avaient vu aucune utilité. On misait déjà sur les chemins de fer.

Le pont de la Vieille Loire, actuellement
Le pont de la Vieille Loire à Decize, actuellement

C’est aussi à cette époque, en 1734, que le pont de Nevers - dit le Pont Neuf ou Pont de Loire - a été démarré sur la Loire juste en aval des écluses (*) de la Nièvre, pont d'une quinzaine d'arches en grès rose, en lieu et place de l’ancien pont du 13ième siècle devenu dangereux, face à la porte Saint-Sauveur, sous la responsabilité de l’ingénieur Louis de Règemortes (1715 - 1776), le même qui, en 1763, construisit le pont sur l'Allier à Moulins, en remplacement du pont Mansard de 1705. Il va être achevé en 1767,  et  élargi  en  1832 par Marie Louis Auguste Boucaumont (1803 - 1870), ingénieur ordinaire sous la direction d'Abraham Mossé (1780 - 1839), ingénieur en chef, le même qui, à deux reprises, en 1822 et 1837, fut affecté à la construction du Canal du Nivernais. Plus en amont, et plus près de chez nous, c’est, sur les  traces  des Romains, le pont de Decize, de onze arches, que l’on démarre à la construction en 1775 sur le bras ligérien de Saint-Privé, actuellement dénommé la Vieille Loire, en remplacement  du  pont  de  1595  de  dix-sept  arches  fortement
endommagé par plusieurs crues et dont une arche avait cédé, rafistolée par une passerelle en bois : achevé en 1783, il sera élargi et restauré un siècle plus tard, en 1896. Quant à ce fameux bras, il a été neutralisé au 19ième siècle suite à l’arrivée du Canal du Nivernais qu’il a bien fallu relier au Canal Latéral, ouvert à la navigation en 1838 entre Digoin et Briare après onze (11) années de travaux, en rendant navigable aux chalands la portion de Loire indispensable à cette jonction : le bras secondaire, ou bras gauche, de la Loire fut canalisé, des digues amont et aval ont été construites à cet effet entre 1836 et 1844, provoquant l’ensablement amont du bras droit de Saint-Privé, qui était le bras principal (**). Quant au bras gauche, il était traversé bien avant sa canalisation, soit dès 1477, par un pont à péage en bois - dit pont de Crotte, reconstruit en 1790 - qui connut bien des catastrophes, essentiellement dues à des crues, des débâcles de glaces et des radeaux de bûches à la dérive, cette dernière en 1804. Jusqu'en 1831, le bras gauche sera traversé en bac, 1831 étant l'année de la mise en circulation d'un magnifique pont suspendu à une pile et tablier en bois dont le péage sera aboli cinq ans plus tard, et qui ne va pas sans rappeler l'histoire du pont suspendu de Cosne-sur-Loire construit entre 1813 et 1833, lequel va être remplacé en 1929 par un pont en béton plus résistant aux passage des automobiles. Au final, le pont de Decize, devenu lui aussi dangereux aux circulations automobiles malgré sa technologie audacieuse - et très innovante -, sera remplacé en 1904 par un pont en béton plus classique mais plus solide. Comme on le verra, ces deux ponts vont être à nouveau détruits en 1940...

Le 19ième siècle sera, avec le parachèvement du réseau routier actuel, celui des ponts suspendus sur la Loire et l'Allier et 111 ponts de ce type sont signalés à cette époque sur ces deux cours d'eau. Les frères Séguin, Marc en particulier (1786 - 1875), en sont bien souvent les concepteurs et constructeurs. En plus des ponts de Decize et de Cosnes déjà cités, signalons le pont de Mornay (Saint-Pierre-le-Moûtier) construit sur la N76 sur l'Allier, lequel, suite à l'accident de 1933, va être remplacé en 1936 par un nouveau pont suspendu, d'une longueur totale de 210 m, qui va être à nouveau remplacé par un pont en poutres en 1990, de 280 m sur cinq travées ; et, en aval, le pont routier du Guétin construit en 1834, sur la route de Nevers à Bourges parallèlement au pont-canal du même nom, construit entre 1828 et 1837, inauguré en 1838 à la norme Becquey et qui va être mis à la norme Freycinet en 1890 : le pont routier actuel, construit de poutres métalliques sur 315 mètres, date de 1993 ; le pont de Garchizy-Fourchambeault construit en 1836 sur la Loire, rompu lors de la crue de 1856, réparé depuis et qui, malheureusement, va être dynamité en 1940 par l'armée française pour gêner l'avance allemande... Enfin, à la Charité-sur-Loire, le pont suspendu construit en 1868 à l'image du précédent sur un petit bras de la Loire séparant l'île du Faubourg de la Charité et le Berry, en remplacement du pont de 1669 : ce pont va lui aussi être entièrement détruit, mais en 1944, comme le pont suspendu de Saint-Thibault de 360 m menant à Sancerre, construit en 1834, détruit un siècle plus tard au therme d'une concession amphithéotique, reconstruit en 1937 et à nouveau détruit en 1944...

Ce n'est qu'à partir de 1899 qu'est entreprise la construction du pont métallique de Pouilly-sur-Loire, suite à la réalisation d'un port sur la Loire avec quais maçonnés et gare d'eau, destiné à l'écoulement des vins avant l'avènement du chemin de fer. Terminé en 1902, ce pont, qui a été bombardé par l'aviation italienne et dynamité par le génie militaire français en 1940, et à nouveau en 1944 par les allemands lors de leurs retraite, a été reconstruit tel quel en 1950 et existe toujours.

Dans les années 1830, d'autres ponts métalliques suspendus seront construits dans la Nièvre, sur des cours d'eau moins importants : près de chez nous, citons celui de Vandenesse, sur l'Aron, ceux de Tannay et de Clamecy sur l'Yonne ; le franchissement conjugué du canal et de l'Aron nécessiteront des constructions plus poussées comme un pont levis à l'entrée amont du port de Cercy-la-Tour. Un petit pont en fonte fut construit sur l'Aron en 1830, près d'Isenay, qui fut remplacé en 1954 par un pont en béton armé. Tous ces ouvrages ont malheureusement aujourd'hui complètement disparu.

C'est à cet époque aussi que Moulins-Engilbert se dotera dès 1773 d'un pont sur le Garat censé remplacer le fameux gué menant aux remparts de la ville - le pont Rollin. Ce pont était étroit, plus conçu pour les "gens de pieds et cavaliers" que pour les hypomobiles et, menaçant ruine, fut réparé en 1836 ; il s'avéra très rapidement bien fragile aux convois lourds et fut déclaré impropre à leur passage dès le mois de mai 1839, ceux-ci devant alors passer par le gué. Il fut entièrement reconstruit le 27 novembre 1839, complétant ainsi l'aménagement de la route de Chatillon par Tamnay, par un autre pont bien plus large, et surtout plus solide, carossable aux males-postes et autres tombereaux, qui existe toujours.

Le pont Rollin de 1839 devant l'Hôtel de l'Horloge
Le pont Rollin de 1839 devant l'Hôtel de l'Horloge


Enfin côté moyens de transport et de traction, c’est aussi l’époque de la réalisation, en 1769, de la première voiture sans traction animale, la voiture à vapeur de Nicolas-Joseph Cugnot (1725 - 1804), ingénieur militaire : en fait, c'était un fardier. En 1827, Marc Seguin (1786 - 1875), déjà concepteur des ponts suspendus, met au point une chaudière tubulaire à vapeur que l'on va plus tard dénommer locomotive à vapeur, et, dès 1832, cet engin va équiper la première ligne de chemin de fer à vapeur entre Saint-Eienne et Lyon. Enfin, en 1783, les frères Montgolfier se rendent célèbres par leurs aérostats.

Mais, concrètement, rien ne change fondamentalement sur notre canton jusqu'à la fin du 18ième siècle et, malgré la corvée, les chemins ruraux, de loin les plus nombreux ici avec la multiplication des bourgs et hameaux et le repeuplement des campagnes, peu ou prou héritiers des voies gallo-romaines, restent dans un état pitoyables. La carte de Cassini de cette période ne mentionne sur la chatellenie que deux grands axes : celui de Châtillon-en-Bazois à Moulins-Engilbert par Belleveau et celui de Château-Chinon à Cercy en passant par Moulins-Engilbert, ce qui ne va pas sans rappeler le réseau gallo-romain d’origine.