Les activités économiques et les professions dénombrées en 1871 à Moulins-Engilbert


S'il est aisé de faire le constat des professions, de leurs praticiens, et des activités économiques suivant les données exhaustives les plus récentes fournies par le dernier recensement de 1999, il est beaucoup moins aisé d'en faire une comparaison avec ces mêmes données obtenues au 19ième siècle, à commencer par celles de 1871, celles que nous avons pu avoir avec l'ouvrage de Gabriel Vannereau de 1972 (Moulins-Engilbert au 19ième siècle).


Moulins-Engilbert au 19ième siècle


Faire une comparaison entre ces deux périodes permet de dresser une évolution socio-professionnelle incontestable de la commune cantonale. Mais cette tentation et cet intérêt se heurtent très vite à des classifications statistiques très différentes suivant que nous nous trouvons en 1871 ou en 1999. L'approche des phénomènes sociaux et socio-professionnels, si elle a beaucoup évolué en cent-trente (130) ans, est donc sujette à interprétation statistique.

En 1871, Moulins-Engilbert était une petite ville d'environ 3000 habitants. Elle en a actuellement un peu plus de 1600 et le sondage de 2006 ne devrait pas donner de résultats supérieurs. Si l'évolution quantitative est simple et spectaculaire, l'évolution socio-professionnelle l'est bien moins, quoique particulièrement significative au cours des cent-trente dernières années.

Tout d'abord, Moulins-Engilbert était un petit centre industriel et commerçant animé par une bourgeoisie urbaine et terrienne plus ou moins héritière de la période féodale (Alloury, Guillier, Rebreget, Isambert, Goguelat, Radet, Thomas, Pougault...). Le vicomte Edmond Engilbert de Fourchaume caractérisait cette bourgeoisie terrienne provenant de la petite noblesse de l'ancien régime, grosse propriétaire de terres agricoles. En 1842, on y dénombrait encore six (6) tuileries (on en comptait jusqu'à douze (12) à la fin du 18ième siècle), quatre (4) tanneries et sept (7) moulins à meunerie ou huilerie, sans parler d'une poterie semi-industrielle, créée en 1864, dans la lignée des précédentes, à caractère surtout artisanal. Suivant Jean Jaubert, plusieurs manufactures de serge, de gros draps et de crépons étaient constatées, ainsi que des chapelleries, qui ne résistèrent malheureusement pas "à la montée du luxe" du 19ième siècle. Sans parler d'un foulon et de plusieurs fours à chaux. Toutes ces industries, plus ou moins directement issues de la période féodale, dépendaient plus ou moins étroitement de l'énergie-eau ou de l'énergie-bois et employaient à elles seules une bonne centaine d'ouvriers. Et Moulins-Engilbert commerçait surtout en mégisserie et cuirs tannés, chapeaux communs, merrains, poterie, toutes sortes de bestiaux, notamment en cochons. Toutes ces marchandises étaient principalement écoulées aux foires de Châlons-sur-Saône et de Decize.

Georges Touchard-Lafosse, dans son récit de 1858 "La Loire historique, pittoresque et biographique" décrit ainsi la ville en ces termes :

La ville de Moulins-Engilbert est industrielle et commerçante : on compte dans son enseinte et environs des tanneries, des fabriques de chapeaux, sept moulins à farine, des taillandiers, des serruriers, un four à chaux, deux tuilerie et une poterie. Les foires sont bien suivies : elles ont lieu en janvier, mars, avril, juin, juillet et août. La population de Moulins-Engilbert s'élève à 3.316 individus (...).

Sur le territoire de Moulins-Engilbert il existe une carrière de marbre noir tirant sur le bleu avec des veines grises. Ce marbre, où l'on devine divers coquillages, reçoit un beau poli : on en fait des cheminées dont le ton n'est pas désagréable.

Avec la venue de l'électricité et des nouvelles énergies, elles ont périclité sans avoir pu se moderniser et elles ne sont actuellement plus que des souvenirs, par leurs bâtiments, transformés, partiellement détruits ou utilisés à d'autres usages. Qui n'a pas été, venant de Cercy-la-Tour, alerté par la cheminée de brique rouge de l'ancienne poterie Thomas, actuellement occupée par le carrossier Laporte ? Et qui se serait douté, qu'en lieu et place des logements sociaux situés en face de la salle polyvalente, par delà le champs des boulistes, se situait, le long du Guignon, les tanneries Sauvaget ? Qui se serait douté qu'en allant se servir en essence à la station "ATAC", vous entriez dans les anciennes tuileries Grivaut ? Qui pourrait savoir qu'en traversant le Guignon de la rue de James pour se rendre au champ de Foire on passait par le moulin Bardot ? On pourrait à souhait multiplier les exemples.

Les métiers de l'artisanat à Moulins-Engilbert en 1871
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En dehors de ces industries traditionnelles, quarante-sept (47) métiers étaient identifiés à Moulins en 1871. Il y en a un peu plus actuellement. Impossible de les citer tous ici, sinon que les statistiques d'alors les classaient en quatre grandes catégories.
- Celle de l'agriculture et de l'élevage, qui comportait un nombre impressionnant de propriétaires-exploitants, 128 au total, du grand au petit, du travailleur au rentier, du bourgeois terrien à celui des villes, sans parler des fermiers, des vignerons (eh oui !), des jardiniers et autres laboureurs, journaliers et domestiques, soit un effectif de 231 professionnels.
- Celles des artisans où les tailleurs de pierres, maçons et couvreurs-charpentiers constituaient à eux seuls près de quatre-vingt-dix (90) praticiens sur un effectif total de 248 professionnels, des réparateurs de parapluie aux menuisiers en passant par les scieurs de long, les meuniers, les charrons et autre chaufourniers.
- Celle des commerçants, nettement plus restreinte, nettement dominée par les vingt-trois (23) cafetiers-hôteliers-aubergistes et les épiciers, au nombre de quinze (15) sur un effectif total de 49 professionnels.
- Enfin celle des professions libérales alors essentiellement représentées par les médecins (3), les notaires (3), les huissiers (2) et les clercs de notaires (2), soit un effectif de treize (13) professionnels.


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Il y avait quinze (15) vignerons : on produisait dans la région du vin en assez grande quantité par cette vigne qui, de Champmartin à Babize, fut détruite en 1876 "par une maladie inconnue" (on l'identifia plus tard par le phyloxéra) puis, deux ans plus tard, par d'importantes gelées. Il était consommé dans les cabarets ou chez soi. Il y avait treize (13) jardiniers et vingt-six (26) laboureurs : ces messieurs les bourgeois avaient leur personnel d'entretien et d'exploitation, secondés par les domestiques et, à la louée du 24 juin, par les journaliers.

Sans être exhaustif, quand on fait une comparaison avec les statistiques d'aujourd'hui, on se rend compte que des métiers ont disparu, que d'autres perdurent tout en ayant suivi l'évolution des techniques et des connaissances, et que, du fait de cette même évolution, de nouveau métiers sont apparus.

Les métiers disparus depuis 1871 sur Moulins-Engilbert (certaines professions perdurent encore ailleurs, quoique très modernisées) :
- Parmi les agriculteurs : vignerons, laboureurs, plesseurs, journaliers et domestiques.
- Parmi les artisans : tailleurs de pierre (?), sabotiers, cordonniers, charrons, forgerons, tailleurs d'habits, tisserands, tuiliers, chauffourniers, tanneurs, meunier, scieur de long, teinturiers, potiers, chapeliers, cloutiers, tonneliers, cordiers, chiffonniers, réparateurs de parapluie.
- parmi les commerçants : marchands d'étoffe, marchand de fer.
- Parmi les professions libérales : seuls les huissiers ont disparu.

Les métiers apparus depuis 1871 sur Moulins-Engilbert :
- Parmi les agriculteurs : tractoristes, mécaniciens agricole, éleveurs-stabulateurs, paysagistes-horticulteurs, pépiniéristes, bûcherons, débardoriste, élagueurs. Il y a eu des maréchaux-ferrands qui ont à nouveaux disparu, puis remis au goût du jour avec la fondation en 1991 de l'école de maréchallerie de Maux.
- Parmi les artisans : extracteurs de carrière, ambulanciers, transporteurs, chauffeurs de taxi, bijoutier, carrossiers, carreleurs, céramiste, ébéniste, électricien, électro-mécaniciens, fleuriste, informaticiens, marbriers, mécaniciens automobile, métallier, opticiens, photographes, plombiers, relieurs, terrassiers, traiteurs.
- Parmi les commerçants : marchands de journaux, marchands de biens (agents immobiliers), fleuristes, grainetiers, confectionnistes.
- Parmi les professions libérales : agent privé de recherche, experts comptables, assureurs, directeurs d'auto-écoles, dentistes, enseignants libéraux, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, logopèdes, photographes, télé-marqueteurs, vétérinaires.


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Tous les métiers non mentionnés parmi les métiers disparus ou apparus sur Moulins-Engilbert sont des métiers qui ont perduré du 19ième au 21ième siècle tout en se modernisant et s'adaptant. Le métier de plâtrier d'aujourd'hui, où l'on touche surtout à la plâtrerie sèche, n'a plus rien à voir avec celui de naguère. Les soudeurs et métalliers ont remplacé les forgerons. Notons que le sciage était une activité bien présente à Moulins-Engilbert vu l'importance des forêts et que cette activité à très curieusement disparu, sauf à Villapourçon et Montaron, avec l'acheminement du bois vers des scieries extérieures. Notons aussi que les tailleurs de pierres sont encore représentés chez les actuels marbriers et peuvent avoir un prolongement dans la profession d'extracteur de carrière, actuellement très mécanisée. Et les maçons, couvreurs et charpentiers, bien qu'en nette diminution, continuent actuellement d'être bien représentés à Moulins-Engilbert. Côté agriculture, les nostalogiques des vieux métiers sont à la recherche désepérée de plesseurs, ces véritables techniciens de la haie qui ont pratiquement, du 16ième au 20ème siècle, fait tout le paysage du boccage morvandeau. La disparition complète de ce métier a consacré par là même la disparition d'un savoir-faire indispensable à la gestion des parcelles : les grillages n'existaient pas.

Notons aussi que les métiers de l'hôtellerie-restauration, qui perdurent jusqu'à l'heure d'aujourd'hui, étaient particulièrement présents au 19ième siècle, beaucoup moins actuellement : de 23 on est passé à 5... Moulins-Engilbert était assurément une ville très vivante et accueillante, et les points de réunion ne manquaient pas, notamment avec les débits de boisson et la consommation du vin produit par les vignobles alentours. Les témoignages de Jean Jaubert, d'Albert Rabion et de Victor Moreau sont édifiants à ce sujet. Certains cafés étaient plus remarquables par leur nom que par leurs produits. Citons-en quelques-uns comme "Le Café du Pape" et celui de "Jésus-Christ" situés à peu de distance l'un de l'autre. Suivant le témoignage de Jean Jaubert, "on y savourait l'arôme d'un moka délicieux et l'on y chantait les hymnes du divin Béranger". Il en est de même des épiciers, profession qui, sédentaire ou non, était très visible au 19ième siècle. On n'en compte actuellement que deux (2) sédentaires et un sur étal, et les G.M.S., dans leur politique de concentration commerciale, ont largement contribué à leur disparition comme à la disparition de bien d'autres petits commerces, notamment sédentaires. Notons aussi que la quincaillerie-ferronnerie, si elle n'a jamais disparu à Moulins-Engilbert, n'a jamais dépassé les quelques praticiens, un ou deux au maximum.

En 1871, les agriculteurs et propriétaires formaient sur Moulins-Engilbert 43 % de la population laborieuse. Ils n'en forment actuellement plus que 6 %, auxquels on peut rajouter 4 % de GAEC et autres Groupements Fonciers ou Forestiers, ce qui dépasse déjà la moyenne nationale. En 1871, les artisans formaient 46 % de la population active. Ils n'en forment actuellement plus que 12 %. En 1871, les commerçants, de gros et de détail, réparateurs ou non d'articles, totalisaient 9 % de la population active, ils grimpent actuellement à 37 %, avec cependant de fortes concentrations dans le commerce des denrées alimentaires. Les professionnels libéraux, incluant les propfessions de santé, ne formaient que 2 % de la population active, ils totalisent actuellement, si on y inclut les professions de services, et plus généralement toutes les professions du tertiaire, inexistantes en 1871, plus de 34 %, avec une notable diversification des activités et des métiers dans ce secteur, notamment avec la venue de l'informatique et des entreprises de services, secteur jadis essentiellement dominé par les professions juridiques et de santé.

En cent-trente ans, le paysage socio-professionnel a donc été complètement bouleversé au profit des commerçants et des professionels libéraux et de services avec un lien de plus en plus fort entre l'artisanat et le commerce (les "artisano-commerçants" comme on dit parfois). Le paysage socio-professionnel devient donc, avec la disparition des petites industries, de plus en plus marchand. La disparition de certaines professions agricoles, comme les vignerons, témoigne de la profonde modification du paysage agricole, beaucoup plus varié naguère et bien moins axé sur l'élevage que maintenant. La disparition des laboureurs et des journaliers s'explique grandement par la disparition progressive des cultures vivrières et l'arrivée, vers 1955, de la mécanisation agricole ayant entrâiné des regroupements fonciers. La notable diminution du pourcentage des agriculteurs dans le panel des professions économiques a bien traduit le phénomène d'exode rural entamé depuis 1886 et accéléré après les années soixante.

La balance entre la disparition de métiers et l'apparition de nouveaux métiers au cours des cent-trente (130) dernières années est loin d'être négative. L'élévation des techniques et des connaissances et la modification des modes de vie et de transport ont largement contribué à ce bouleversement. Notons que ce sont surtout les "petits métiers", manuels et exigeant peu de connaissances, très présents au 19ième, souvent liés à l'agriculture et à la petite industrie traditionnelle, qui ont été les premiers touchés avec les phénomènes de prolétarisation dans les grandes métropoles industrielles. Les voies de communication ayant été très mauvaises jusque vers 1840, la tendance était à une économie de préservation, où l'on réparait beaucoup de choses sur place, y compris les parapluies, donc géographiquement beaucoup moins différenciée qu'actuellement. L'apparition de nouvelles voies de communication provoqua la formation de régions de plus en plus différenciées et spécialisées et la région de Moulins-Engilbert s'est progressivement spécialisée dans l'élevage avec une sous-spécialisation d'elevage-naisseur. L'agriculture, si elle s'est modernisée, en a payé le prix de la perte des trois quarts de ses effectifs, et les conséquences démographiques ont été particulièrement spectaculaires dans les communes rurales vivant quasi-exlisivement de l'agriculture. Cette tendance, que l'on a déjà vu par ailleurs sur ce site, explique l'appauvrissement actuel de la diversité des activités économiques locales productives de richesses, la multiplication des métiers nouveaux, notamment dans les services, en lieu et place des anciens liés à la production, ne signifiant pas pour autant un accroissement concomittent de leurs praticiens. Sur Moulins-Engilbert, de plus en plus de métiers sont pratiqués par quelques personnes seulement, et un seul représentant y est souvent constaté. Le manque d'industries et de toutes les activités induites sont largement responsables du vieillissement de la population et de la dépopulation actuelle.

Sources : INSEE, 1999 ; Gabriel Vannereau, 1972 ; Jaubert Aîné, 1837 ; Vents du Morvan, n°21 : Moulins-Engilbert au temps d'Henri Bézille.